L’écologie culturelle est notre seul espoir

Entretien avec Patrick Scheyder

Patrick Scheyder est un pianiste professionnel qui depuis plus de dix ans crée des spectacles musicaux au cœur de la nature. S’il ne l’avait pas prémédité, jouer en plein air lui apparaît aujourd’hui comme un acte militant, celui de sensibiliser son auditoire à la nécessité de réparer notre relation au monde. En mai 2022, il développe sa pensée dans un Manifeste, publié en partenariat avec le média L’ADN, qui appelle à forger une écologie culturelle.

Pour ses créations, Patrick Scheyder a exhumé de l’histoire des textes engagés pour la cause écologique, peu entendus, voire méconnus. Ces derniers sont lus par des comédiens tels que Michaël Lonsdale, Denis Podalydès ou encore le paysagiste Gilles Clément. Fin connaisseur de l’histoire de l’écologie, il a publié plusieurs ouvrages sur le sujet dont Des jardins et des hommes et Pour une pensée écologique positive. En avril 2022, il propose une anthologie des Écrits sur la nature de George Sand et Des arbres à défendre, George Sand et Théodore Rousseau en lutte pour la forêt de Fontainebleau (1830 – 1880), deux livres parus chez Le Pommier.

© Guillaume Poli
© Patrick Scheyder
© Patrick Scheyder

Quelle sensation t’inspire le monde d’aujourd’hui ?

Contrastée, entre espoir et désespoir, entre ombre et lumière. De ce point de vue là, je partage très probablement la même sensation du monde que nos ancêtres. Si j’avais vécu à la Renaissance, j’aurais pu rencontrer Michel-Ange ou Léonard de Vinci… mais, j’aurais peut-être subi les atrocités de César Borgia ou celles des Guerres de religion.

Il faut vraiment s’enlever de la tête cette idée du « c’était mieux avant » qui nous empêche de penser le monde d’aujourd’hui et qui idéalise ce que nous n’avons pas vécu. Notre époque, comme toutes les autres, est pleine de contradictions et de transformations, collectives comme individuelles.

Néanmoins, les bouleversements actuels ne sont-ils pas inédits par leur ampleur et leur violence ?

Nous savons que le statu quo nous emmène droit dans le mur, ce qui requiert des changements radicaux. Or, ne pouvant me résoudre à la fatalité, j’y vois également un appel à la créativité.

Lors de la dernière période glaciaire à la fin du Pléistocène, il y a environ 110 000 ans, nos ancêtres n’ont pas eu d’autre choix que de changer leurs habitudes alimentaires, passant d’un régime plutôt frugivore à un régime plus carnivore, notamment avec la chasse de gros mammifères.

À Amiens, la température pouvait descendre à -30°C, voire -40°C, sans chauffage central ! Dans ces conditions, l’adaptation s’impose. Nous sommes entrés dans un moment similaire de l’Histoire qui met à nouveau sur la table la question de notre survie.

Pour s’adapter, faut-il faire table-rase de notre système thermo-industriel ?

Je n’aime pas ce terme de table-rase, ni celui de révolution qui résoudrait tous les problèmes de société. Je regarde plutôt l’Histoire comme un continuum composé d’incessantes évolutions. Nous sommes d’ailleurs revenus de cette conception historique rythmée par des chocs brutaux, ceux par exemple qui expliqueraient la chute de l’Empire Romain ou le déclenchement de la Révolution française.

C’est pourquoi je préfère le terme de « re-évolution » qui a l’avantage de nous inscrire dans un récit toujours en train de s’écrire. À ce titre, je considère que se fixer comme objectif collectif de retrouver un système stable constitue une chimère. Si la recherche d’équilibre peut être momentanément nécessaire, à long terme, la stabilité ne peut pas être une boussole pertinente. Si c’est rassurant et confortable de le croire, cela n’en demeure pas moins une illusion.

Quelles sont les idées qui prospèrent sur cette promesse d’harmonie figée ? Celles des dictatures bien souvent : la paix, le calme, l’ordre, voilà ce qu’elles promettent. Ou celles d’un système qui se nécrose car sans changements, il n’y a plus de vie. Dans la nature comme dans nos sociétés, la fixité c’est la mort !

Au contraire, je crois qu’il faut tendre vers une mise en mouvement perpétuelle. Tout se réinvente en permanence et tant mieux. C’est ce que nous vivons depuis nos origines. Sans remonter trop loin dans le temps, je constate qu’au XIXe siècle, la religion a été supplantée par la science qui a connu des développements fulgurants et réalisé des découvertes extraordinaires.

Mais, loin d’être parfaite, elle montre également ses faiblesses. Là où elle avait construit son récit sur la promesse d’améliorer nos conditions de vie en éradiquant les maladies, en inventant des techniques et technologies sensées nous libérer de tâches ingrates, aujourd’hui, avec la COVID-19 et face aux défis écologiques, que nous dit-elle ? Que nous sommes faillibles et que nous courons à notre perte si rien ne change.

C’est un véritable changement de paradigme : la science passe d’une source intarissable d’espoir au partage de messages de mise en garde et d’appels répétés à l’humilité. Cette remise en cause du scientisme est une excellente nouvelle car cela ébranle la prétendue éternité du système thermo-industriel ainsi que le grand récit progressiste qui le soutient. Je m’en réjouis !

Aucun sauveur ou deus ex machina ne viendra nous sortir de cette ère mortifère du Capitalocène. Notre rôle consiste ainsi à déconstruire les systèmes actuels pour comprendre leurs dynamiques et pouvoir proposer autre chose. Cet autre chose ne se construit pas qu’en étant dans le contre, dans l’opposition. Faire société, ce qui doit être notre but et notre ambition, c’est faire avec la société et non contre elle, créer un élan soutenu par une promesse. Faire le bonheur de la société contre elle-même, ou sans elle, ce serait de la dictature…

Photographie de Patrick Scheyder en concert à l’auditorium du Collège des Bernardins.
Photographie de Patrick Scheyder en concert à l’auditorium du Collège des Bernardins.

Comment faire quand l’inertie semble insurmontable ?

Déjà, je le répète, ne surtout pas attendre de solutions tombées du ciel qui feraient émerger un monde meilleur. Quand j’ai plongé dans l’histoire de l’écologie, j’ai compris à quel point une pensée qui rejetterait le passé et se projetterait dans un futur utopique relève de l’hérésie.

Je vais prendre un exemple qui pourra paraître surprenant. Je suis né et j’ai grandi à Paris voici soixante ans. Quand j’y repense, je me souviens de la grisaille qui habitait cette ville. Aujourd’hui, face à nous, je contemple les quais de Seine, et je vois tellement de couleurs : les restaurants, les vêtements, les voitures… Ces couleurs sont apparues grâce au libéralisme ! Je le reconnais alors même que je sais tous les dégâts que cette idéologie continue de provoquer.

Je pense aussi à Michelet et à son ouvrage intitulé Le Peuple, publié en 1846. Il décrit comment, grâce à la libéralisation du commerce, les gens simples ont pu changer leurs draps, qu’ils conservaient avant toute leur vie. Et même comment ils ont commencé à mettre des fleurs sur leur table, un acte devenu banal mais qui à cette époque était une nouveauté. Cette libéralisation a permis de remplir une partie de la promesse républicaine qui était d’améliorer les conditions de vie et d’accroître le bien-être.

Je partage ces deux exemples car je suis convaincu que si nous voulons nous éloigner d’un système, il faut aussi savoir en faire un deuil positif, et reconnaître ce que nous avons aimé et apprécié. Il faut qu’il y ait du contentement, y compris dans ce que nous créerons à l’avenir, sinon la tâche sera impossible.

En ce sens, l’écologie doit être pensée en 3D : se réclamer du passé pour mieux vivre le présent et dessiner un futur désirable. Penser hors-sol, c’est nécessairement mal penser. Ne surtout pas vouloir repartir d’une page blanche…

Or, c’est bizarre, je constate que les sujets sont traités sans cette connaissance historique et sans cette profondeur de champ. Et quel sujet sérieux peut-il être traité sans prendre cette hauteur de vue, et surtout pour écrire notre futur ? L’écologie, pas plus que tout autre sujet, ne peut échapper à ce travail de synthèse.

Quand Patrick Scheyder décide de créer le spectacle Des jardins et des Hommes, il sélectionne des textes engagés de personnalités comme George Sand, Jean de La Fontaine, Jean-Jacques Rousseau ou Montaigne. Son travail permet également de mettre en lumière des engagements écologiques forts comme ceux de Victor Hugo et de l’école de Barbizon qui, en 1861, feront de la forêt de Fontainebleau, la première zone naturelle protégée du monde.

Comment expliques-tu que l’histoire de l’écologie demeure encore largement méconnue ?

L’ensemble du système éducatif est en faillite concernant l’écologie. Nos enfants n’apprennent pas les mécanismes du vivant. Dès lors, comment espérer que devenus adultes, ils puissent comprendre ces sujets, les interroger et prendre des décisions éclairées ? Les outils nous manquent.

Je rappelle qu’en 1882 la République française s’est donnée pour mission d’assurer une éducation obligatoire pour toutes et tous afin que les citoyens aient un vote éclairé. Comme ce n’est pas le cas, la compréhension des enjeux ne peut que relever de la foi — croire les scientifiques ou ne pas les croire —, ou de l’idéologie.

C’est très dangereux car la science, qui est là pour comprendre les phénomènes, ne donne par ailleurs que très peu d’indications sur ce qu’il faudrait faire par la suite. De façon concomitante, je pense que nous devons tisser, développer une relation sensuelle et intuitive avec le monde qui, elle aussi, est un certain savoir.

Rappelons-nous que certaines civilisations se sont développées de façon extraordinaire sans qu’elles ne sachent rien sur la physique quantique ou le génome humain. La science nous éclaire certes, mais elle ne saurait prendre de décisions ou agir à notre place. La mission de notre époque, c’est de traduire le message de la science en outils sociaux, qui aient un sens concret et enthousiasmant pour la société.

J’ajoute que beaucoup d’experts ou d’hommes et femmes politiques ont intérêt à ne pas parler plus que cela de l’histoire de l’écologie. Qui cela intéressera-t-il après tout ? Quelle utilité au sens politique ? Nous sommes dans le pratico-pratique, l’utilitaire, faisant fi trop souvent de la psychologie et des mécanismes si délicats de notre psyché.

Si dévoiler que l’écologie est dans l’ADN de notre culture nationale est peu de choses, j’en suis très étonné ! Cela revient à adopter la posture du sauveur que j’évoquais précédemment. N’est-il pas plus valorisant et facile de se penser comme l’héritier d’une filiation pluri-séculaire que comme un héros des temps modernes ? Je m’interroge.

Malheureusement, je reste convaincu que cette culture ignorée ne permet pas de formuler les problèmes convenablement, et encore moins de toucher les gens, et de favoriser l’émergence de solutions viables. Par ailleurs, il y a encore une certaine réticence à expliciter les efforts colossaux qui seront nécessaires pour bifurquer et tenter de s’en sortir. L’écologie politique a probablement du mal à avouer aux citoyens de potentiels renoncements à venir.

Quelle est la vertu d’une remise en perspective historique de l’écologie ?

La vertu, ou plutôt le propre d’une perspective, c’est de ne pas voir le monde aplati en une seule dimension ! Cela permet d’abord de ne pas penser ce qui nous arrive sur le mode exclusif de l’urgence.

Bien sûr, nous devons réagir au plus vite mais notre capacité d’anticipation s’est désintégrée. Nous sommes acculés et incapables de prendre de la hauteur. Les efforts de prospectives sont étrangers aux dirigeants politiques, or sans cette mise en perspective, nous subissons la dictature du temps présent… ce qui ne nous mène pas très loin.

Ensuite, cette histoire de l’écologie met en lumière la complexité des transformations. Si je reviens à la Révolution française, nous savons que les causes sont multifactorielles. La nature a par exemple joué son rôle puisque les mauvaises récoltes provoquées par des conditions climatiques difficiles ont aggravé la faim dans le pays.

J’en retiens une leçon : celle de ne pas adhérer à ce qui paraît être très évident. Peu à peu, l’humanité a évolué, nous sommes devenus des êtres de culture, autrement dit des êtres éminemment modelables. Soyons lucides sur nous-même, et sur notre fragilité. L’humain en arrive parfois à croire ce que nous lui disons de croire, et notre libre-arbitre est bien plus restreint que nous sommes prêts à nous l’avouer. L’humilité s’impose.

Mais, cet être de culture que nous sommes, notre cerveau doué d’une plasticité étonnante peut donner vie à d’excellentes choses. Par exemple, je partage ma passion de la nature avec mon petit-fils et il intègre cette connaissance, et cette relation à l’environnement, sans aucune difficulté. L’histoire de l’écologie doit infuser dans l’éducation, de la maternelle à tous les cursus de l’enseignement supérieur.

Faut-il créer un cours sur l’écologie ?

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’ajouter une matière supplémentaire qui s’appellerait « Écologie ». C’est la façon d’enseigner chaque matière qui doit profondément changer. Il faut réaliser des ponts entre les différentes matières et arrêter de réfléchir en silos. Tout est imbriqué dans le monde. Autrement dit, tout a un lien direct ou par rebond avec écologie. Cette dernière est déjà présente dans tous les cours, au travers de la personnalité même de grandes figures de notre culture. Il faut simplement la mettre en valeur et la faire entendre.

Prenons l’exemple de Pythagore. À son époque, il n’était pas tant connu pour être un mathématicien mais plutôt un philosophe. Sa philosophie était cosmologique car il pensait que chacune des planètes émettait un son d’où la décomposition d’un octave en 7 notes dont il est l’inventeur. Ses découvertes, comme son célèbre théorème, dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des 2 autres côtés, s’inscrivent dans une vision globale du monde. Cette dernière l’a nourri et l’a guidé dans ses travaux.

En partageant des connaissances quelque part hors-sol, nous avons mis l’écologie à distance… alors que c’est tout bonnement ce que nous sommes. Nous sommes aussi la nature. Nous avons externalisé l’écologie comme toute autre connaissance alors que cette connaissance singulière c’est nous, c’est la vie elle-même.

L’école enseigne enfin trop souvent un savoir à base d’icônes, qui ne donnent que des impressions d’ensemble. Nous n’apprenons pas le fond des choses. Savoir que dans ses Essais, Montaigne défendait la condition animale, c’est essentiel maintenant.

Savoir que Rousseau parle de la sensibilité de la nature et des animaux, établissant ainsi les prémices du romantisme, c’est essentiel aussi. Savoir qu’il lisait Buffon et son Histoire naturelle, un livre incroyable dans lequel il explique comment le premier être humain a commencé à s’éveiller à la vie et aux sensations, pareillement. Les grands penseurs du monde ont très souvent une approche naturaliste.

Photographie d’un concert de Patrick Scheyder sur la thématique de Léonard de Vinci au Domaine de Montauger.
Photographie d’un concert de Patrick Scheyder sur la thématique de Léonard de Vinci au Domaine de Montauger.

C’est pourquoi tu as choisi de convoquer les figures de Léonard de Vinci, Jean-Jacques Rousseau, George Sand, Victor Hugo pour appréhender l’histoire de l’écologie ?

J’ai choisi ces personnalités, et d’autres encore, car elles sont multicartes. Aujourd’hui, nous n’avons que des débats de spécialistes qui ne parlent pas au grand public. Et malheureusement, l’écologie politique ne parvient pas à faire mieux. À travers ces personnalités emblématiques, je cherche à montrer qu’une autre écologie est possible, une écologie que j’appelle culturelle.

Je précise d’emblée que pour moi la culture va bien au-delà du monde artistique. La culture, c’est le ciment de notre société : notre histoire, nos habitudes partagées, notre système politique ou encore les territoires que nous habitons. Cette définition montre que l’écologie culturelle permet de comprendre et d’agir à tous les niveaux de nos vies, de façon transversale.

Ainsi, les grands noms que tu cites ne sont pas des généralistes mais des spécialistes de plusieurs choses. Plusieurs exemples rapides. Tout d’abord, Jean-Jacques Rousseau. Son travail ne peut se résumer uniquement à ses écrits philosophiques.

Il voulait devenir compositeur et musicien. Il a réalisé un opéra qui a été joué à Fontainebleau devant le roi Louis XV et s’est violemment querellé avec Rameau. Puis, il deviendra le secrétaire particulier de Madame Dupin, formidable esprit des Lumières qui tenait un salon littéraire prisé. Elle considérait l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert comme une lecture masculine de l’Histoire et a ainsi voulu la raconter du point de vue des femmes.

Rousseau va alors l’aider à traduire 80 livres écrits en latin sur la condition des femmes. Et c’est à l’issue de ce travail qu’il a écrit son célèbre Discours sur les causes des inégalités parmi les Hommes… et s’est fait connaître en tant que philosophe. Et il a également été législateur et romancier. Comment serait regardé un tel profil aujourd’hui ? Sûrement avec une forte suspicion, ce n’était pas un spécialiste, ni un universitaire…

Second exemple avec George Sand. Au-delà d’être romancière, elle publie de nombreux écrits politiques, parfois sous pseudonyme ou anonymat, et s’engage sur les sujets de la nature. Idem pour Victor Hugo qui a été l’immense romancier que nous connaissons mais également un homme politique, à l’origine des premières lois sur la protection animale. Et Léonard de Vinci qui achetait les oiseaux pour les libérer, qui se nourrissait de végétaux et qui ne voulait pas porter de vêtements en cuir.

Au regard de ces exemples, j’émets l’hypothèse que leur vision transverse et leur pluridisciplinarité expliquent pourquoi leurs œuvres étaient si pertinentes et d’une grande lucidité sur l’Homme, sa condition comme ses actions. Une vision de synthèse qui est nécessaire à la société. Et leur approche écologique et naturaliste a façonné profondément leur création. Ne retenir que des noms de romans ou de tableaux dévitalise ces œuvres, cela empêche de saisir la richesse que révèlent leurs œuvres sur le monde.

Dans un beau livre intitulé Léonard de Vinci et la nature, co-écrit avec Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux, et le botaniste Francis Hallé, Patrick Scheyder montre la fascination du maître italien pour la nature. Loin de n’être qu’une inspiration artistique, la connaissance des mécanismes écologiques constituait le cœur de ses recherches. Observateur génial, Léonard de Vinci a développé une relation sensuelle au monde éclairant ces nombreux chefs-d’oeuvre et sa place unique dans l’histoire de l’art.

L’histoire de l’écologie culturelle ne serait donc pas linéaire mais montrerait plutôt qu’à toutes les époques des hommes et des femmes ont interrogé la nature de l’Homme et son rapport à ce qui l’entoure ?

Exactement et c’est notre devoir aujourd’hui de poursuivre leurs réflexions et leurs engagements. Je reconnais en eux le même questionnement sur les fondements de l’humanité. Il ne s’agit pas de savoir s’ils étaient en avance sur leur temps, mais plutôt de mettre en lumière une matrice d’hommes et de femmes qui ont mené des enquêtes approfondies sur la nature.

Ils montrent qu’il faut savoir cheminer intérieurement sur notre rapport au monde et l’interroger avec exigence, pour donner un sens à notre vie.  D’ailleurs, une question me vient à l’esprit qui je crois aurait attisé leur curiosité : que faudrait-il transgresser aujourd’hui pour bifurquer ?

Conférence de Patrick Scheyder sur l’écologie culturelle.

Renverser la République pour une dictature écologique ?

Je ne suis pas sûr mais j’adore cette question… car je crois que la République française et l’écologie sont indissociables. Pour le dire autrement, à mon sens il est impossible d’être républicain et anti-écologiste !

Pour le démontrer, revenons au baptême de Clovis qui est le premier roi de France à avoir été baptisé chrétien. À partir de ce moment-là, la France sera désignée comme « fille aînée de l’Église » et la monarchie repose sur le droit divin. Tel le Christ, le roi jouissait du don de guérir les malades par le toucher. Néanmoins, ce droit divin laissera en fait grandir d’immenses inégalités au sein de la société.

Face à ces dernières, Rousseau, Turgot ou Condillac en France, Hobbes en Angleterre, réfléchissent à la notion de droit. Si ce dernier ne tient pas son essence du divin, il ne peut venir que de la nature elle-même. Rousseau partira du principe que la nature est bonne, Hobbes partira du postulat contraire en affirmant que dans l’état de nature, l’Homme est un loup pour l’Homme.

Or, au moment de la Révolution, les idées de Rousseau ont fait leur chemin et les Républicains choisissent de s’appuyer sur le droit naturel. Si ce dernier est la vraie loi qui régit le monde, la République, en copiant l’égalité par naissance dans la nature, est donc le vrai gouvernement « naturel ». Dans cette conception socio-politique, nous naissons libres et égaux en droit, de par la nature dit la Constitution de 1793, comme le reprend parfaitement la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen.

C’est en cela que la République est naturaliste et écologique… Mais ce n’est pas fini ! Robespierre s’empare de ces idées et en 1793, le calendrier romain est aboli pour laisser place à un calendrier républicain où le poète Fabre d’Eglantine renomme les mois en prenant la nature pour guide : Nivôse, Ventôse, Floréal, Germinal… Chaque jour porte même le nom d’un fruit, d’un légume ou d’un animal. Une révolution naturaliste d’une radicalité folle… et un vrai rêve pour les écologistes !

Même si ensuite la réaction thermidorienne remettra en cause la nature comme prototype pour élaborer un système politique, avant que Napoléon n’enterre le droit naturel, la naissance de la République française est ontologiquement écologique. Elle est indissociablement liée à la nature.

Aujourd’hui, nous devons le savoir et le faire vivre, nous devons prendre conscience que L’Affaire du Siècle et la condamnation judiciaire de l’Etat pour les dégâts causés à la nature, constitue un juste retour aux fondements de notre République. Cette réalité montre que la République française relève d’une sorte de biomimétisme politique, social, économique et culturel. L’inspiration première reste la nature.

Je donne un autre exemple très parlant. Au XIXe siècle, de nombreux scientifiques décident d’historiciser l’évolution humaine. Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier et bien sûr Darwin. Or, là où Cuvier affirmait que les espèces ne se renouvellent que par des catastrophes successives, Darwin a soutenu une conception évolutionniste, sans ruptures brutales.

Comment expliquer ces deux conceptions ? Par le biomimétisme social, politique et culturel que j’évoquais ! Cuvier est Français et a vécu la Révolution de 1789 qui a été une « catastrophe », un changement de paradigme. Or, l’Angleterre de Darwin a su s’adapter à une monarchie parlementaire moins soumise à d’importants soubresauts.

Nous voyons ainsi qu’il existe une identité de destin entre le régime politique dans lequel nous vivons et la compréhension que nous avons de la nature. L’écologie culturelle doit nous faire prendre conscience de cela pour écrire les prochaines pages de notre épopée. La question du lien homme-nature doit se résoudre par la politique , la science, la technique, et la philosophie de la vie.

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