Faire de la curiosité et de l’hospitalité un projet de société
Entretien avec Rachid Ouramdane
Rachid Ouramdane fait des sujets de l’identité et de l’hospitalité des thèmes transversaux de ses recherches et créations.
Né en 1971 à Nîmes dans une famille aux parents analphabètes et illettrés ayant fui la guerre d’Algérie, Rachid Ouramdane grandit dans un environnement familial avec un père victime de torture mutique qui tente de se reconstruire dans un pays d’accueil. Ce passé familial fait de violence et d’exil hantera plusieurs pièces du chorégraphe.
La double culture dans laquelle il évolue lui fait très vite prendre conscience de la multiplicité de nos identités dont il fera le cœur de sa recherche. Au début des années 90, Rachid Ouramdane quitte ses études scientifiques. Il aurait pu être biologiste, tant son expertise semble la science des êtres vivants.
Mais c’est la danse qu’il a choisie, art vivant rencontré à 12 ans sous la forme du hip-hop. De cette culture urbaine, il retiendra la notion d’engagement d’un art dans les lieux publics donnant un autre visage aux barres HLM dans lesquelles il grandit. Se construisant artistiquement entre l’école de la vie et l’école de l’art, Rachid Ouramdane maintient une articulation et une tension constantes entre la dimension autobiographique, les réflexions esthétiques et les sujets de société.
En 2021, après avoir codirigé le centre chorégraphique national de Grenoble, il devient directeur du Théâtre national de Chaillot à Paris où il entend ouvrir cette institution à une plus grande diversité d’artistes et de publics et ainsi donner vie à sa vision inclusive du monde.
Rachid Ouramdane considère sa pratique artistique comme le moyen de repenser la société et de nourrir de nouvelles formes d’engagement.
Chorégraphier dans les airs, quoi de plus beau ? Avec Corps extrêmes, Rachid Ouramdane questionne cette quête d’absolu avec une troupe d’acrobates et voltigeurs. S’élever et prendre de la hauteur, planer même.
De tous temps, le désir de « danser » dans les airs a marqué les esprits. Dans la foulée, Rachid Ouramdane entend avec Corps extrêmes se focaliser sur la fascination qu’exercent les notions d’envol, d’état d’apesanteur, de suspension. Soit autant de moments où l’on quitte la Terre.
Corps extrêmes, doublé d’une installation vidéographique à la beauté saisissante, est une ode au rêve.
Rachid Ouramdane s’implique dans un travail au long cours intitulé Les Traceurs, réunissant des personnalités des sports de l’extrême et des voltigeurs pour produire des œuvres in situ avec comme toile de fond une réflexion sur notre capacité à respecter les environnements dans lesquels nous évoluons.
Ils se confrontent à l’air, l’eau, la neige et cette affirmation de soi dans ces éléments naturels raconte en creux la déshumanisation de nos villes. Ils ouvrent un angle de vue supplémentaire, s’il en fallait encore un, sur les transformations écologiques de nos environnements dont ces aventuriers vont à la rencontre.
Comme à son habitude Rachid Ouramdane tente de rendre visible par ce projet ce qu’il y a de plus sensible et qui est dissimulé derrière les gestes que produisent certains individus hors normes.
Depuis ses débuts, Rachid Ouramdane questionne les identités : la sienne et celle des autres. Il met sur le devant de la scène des individus à double culture, aborde le thème des réfugiés climatiques ou de l’exil, toujours avec un sens de l’espace aiguisé.
Franchir la nuit reprend ce fil rouge, renvoyant à l’imaginaire de ceux qui ont connu un endroit et l’ont quitté. Il réunit 6 danseurs et une foule d’enfants, choisis dans chacune des villes en fonction des représentations. Rachid Ouramdane est allé à leur rencontre pour les écouter, ces enfants migrants, et tenter de trouver un écho sur scène à leurs paroles.
Un parterre d’eau agité de vagues pour décor, des chants comme une passerelle entre l’Afrique, l’Orient et l’Europe, et la danse pour dire ces vies en suspension. Franchir la nuit est dès lors une main tendue à l’autre, une oreille prêtée à l’inconnu. Une odyssée qui fait du théâtre le lieu de tous les possibles.
Qui garde le contrôle sur quoi dans les sociétés à plusieurs vitesses d’aujourd’hui ? s’interroge Rachid Ouramdane. Dans ce précipité de danse, les corps témoignent d’une situation de crise, où le lien de l’individu au groupe est en constante négociation.
Ensemble, sans être à l’unisson, dans les jaillissements de solos et de duos, les interprètes manifestent une formidable pulsion de vie. Entre mouvements continus, vides et pleins, tensions et abandons, Tenir le temps apparaît comme l’une des pièces les plus dansées de Rachid Ouramdane.
Avec l’énorme sensibilité qu’on lui connaît, Rachid Ouramdane traque la source de l’émotion qui jaillit à la croisée d’un geste dansé et d’une musique, offrant au spectateur un moment d’intimité avec l’interprète.
Pour mieux saisir cette alchimie à son état pur, il fait de Variation(s) à la fois l’outil et le résultat d’une investigation menée avec passion et parcimonie.