L’art au service des urgences écologiques
Entretien avec Jérémy Gobé
Jérémy Gobé s’inspire de la nature et de savoir-faire traditionnels pour proposer des œuvres… qui sont aussi des solutions concrètes à des défis écologiques décisifs pour notre avenir !
Le travail de Jérémy Gobé se construit autour d’une idée centrale, comme le disait Auguste Rodin : "un art qui a de la vie ne reproduit pas le passé, il le continue". Il va à la rencontre des objets sans usage et des ouvrages non façonnés, des ouvriers sans ouvrages et des matières sans ouvriers.
Au fil de ses expositions en France (Palais de Tokyo, Centquatre-Paris, Fondation Bullukian, etc.) et à l’international (Bass Muséum Miami, Hangzu China Muséum, Shanghai Yuz Museum, etc.), ses œuvres imposent une reconnexion au vivant.
À partir de savoir-faire anciens qu’il décline, projette et transforme, Jérémy Gobé nous propose par l’imaginaire de réfléchir à des solutions susceptibles de répondre à des problématiques contemporaines.
Fort de son intuition et guidé par son approche sociétale de l’art, Jérémy Gobé imagine Corail Artefact en 2017 : une solution globale pour lutter contre la disparition des coraux. Pour ce faire, il s'appuie sur son statut d'artiste et crée également un projet entreprenarial afin de développer les recherches (artistiques, scientifiques et industrielles) et les actions de sensibilisation (auprès des scolaires et du grand public) du projet.
À travers ses créations, Jérémy Gobé participe à surmonter les catastrophes en cours, notamment celles touchant la biodiversité sous-marine.
Jérémy Gobé et ses partenaires ont poursuivi un premier protocole de recherche entre mars 2018 et fin 2019. Ce protocole a montré que la dentelle de coton est un substrat potentiel pour la fixation du corail et le recrutement de ses larves qui doit cependant continuer à être amélioré, notamment en termes de rendement, afin qu'il puisse concurrencer les supports polluants existants (plastiques, béton, ...).
Depuis la création du projet Corail Artefact, Jérémy Gobé réfléchit à une dentelle 2.0, à partir de fibres encore plus efficaces que le coton, imprégnées d'extraits naturels attirant les larves, favorisant leur adhérence, leur métamorphose et leur développement tout en écartant des concurrents nuisibles comme les algues encroutantes qui sont plus résistants aux changements de température.
Entre la mi-2020 et la fin 2022, de nouveaux prototypes ont été produits ; en parallèle, les tests ont lieux en Guadeloupe dans un aquarium extérieur d'eau de mer, au plus près des conditions in situ avant des expérimentations en conditions réelles horizon 2023-2024.
Cette installation propose un voyage à la découverte de formes étranges. Presque dans l’obscurité, des monticules de laine paraissent à la fois s’ériger et s’affaisser, tel un état des lieux entre-deux qui invite à se raconter de possibles récits.
À la fois monumentale et suggérant une force de la nature, son œuvre in situ apparaît souple et suscite une impression de douceur. Elle invite au toucher et à la frôler, comme pour ressentir des sensations au contact de roches. Celle-ci n’est-elle pas friable, ne va-t-elle s’éroder ? Par endroit, elle semble repousser les limites de l’espace d’exposition. La laine incarne une certaine force de tenue tout comme elle répond au volume qu’elle recouvre.
Au moment de s’approprier des objets détachés de leur fonction première (une table, un miroir, ou une porte...), Jérémy Gobé n’a pas de projet sculptural précis en tête. Il récupère simplement des matériaux auxquels il pense pouvoir redonner un nouveau sens en les transformant, en les recouvrant, et en les prenant comme point de départ d’une nouvelle histoire à inventer.
Fruit d’un laborieux et patient travail, la mise en forme du matériau s’inscrit dans une temporalité longue rythmée par des gestes répétitifs. Devenu sculpture, l’objet abandonné suscite de nouveau l’intérêt du regard, exerce un pouvoir d’attraction, et provoque des réactions. Le caractère utilitaire de chaque chose s’efface au profit de constructions sans début ni fin, échappant à toute définition technique, et dont on ne peut pas réélaborer mentalement la structure labyrinthique.
Jérémy Gobé fait face à Emmaüs et sa quantité de meubles en recherche de propriétaires, dont la grande majorité seront finalement jetés. Il alors le temps de les observer. Qu’advient-il lorsque l’objet fonctionnel ne remplit plus sa fonction ?
Il réalise alors des dessins au crayon papier, silhouettes de meubles solitaires récupérés ou assemblages audacieux qu’il compose à sa guise. Ces études graphiques, telles des empreintes, nous donnent à voir un univers familier, quotidien métamorphosé. Ensuite, il leur confectionne un tricot, qui vient alors recouvrir ces meubles.
À travers une œuvre principalement textile, Jérémy Gobé métamorphose des objets et matériaux qu’il glane au gré de ses rencontres : meubles anciens, chute de laines, de feutre, de coton. Il prolonge de manière poétique la mémoire de ces objets, de ces lieux.
Jérémy Gobé aime détourner des savoir-faire artisanal et industriel : il manipule, transforme, plie, pique, enroule, colonise, autant de gestes répétitifs qui subliment les matériaux. Ses sculptures et installations méticuleuses exercent une fascination, elles envahissent l’espace, prolifèrent dans un mouvement organique.